Le triomphe du texte et la disparition du lecteur
En France, l’ecdotique a trop longtemps été considérée comme
une science auxiliaire au service de l’histoire, de la critique et de la
théorie littéraire. La situation est aujourd’hui entièrement retournée.
C’est précisément l’effondrement de la théorie littéraire à la fin du
XXe siècle qui a ramené l’attention sur les manuscrits et leur édition, comme la philologie italienne n’avait jamais cessé de le faire.
Mais, à une époque où les belles-lettres ne sont plus au centre des
préoccupations, même dans les élites cultivées, l’extrême focalisation
sur ces questions érudites présente aussi un danger: le danger de
voir une poignée de spécialistes consacrer une science minutieuse,
querelleuse et maniaque à l’établissement impeccable de textes qui
n’ont plus de lecteurs.
In France textual criticism has been considered for too long as
a service science for history and literary criticism. The situation is
totally reversed today. The progression of theoretical and critical
studies of literature at the end of the XXth c. have pointed towards
the relevance of the study of manuscripts and their edition, an
approach which has always been familiar to Italian philologists.
However, today – at a time when literature is no longer at the heart
of cultural concerns – the extreme focalisation on such issues does
afford also the danger of seeing a handful of extremely specialized
scholars dedicated to a pedantic science devoted to the impeccable
edition of texts which no longer have any readers.